Un amour trop fort pour l'électroménager

Actualités - 04 avril 2017

Un amour trop fort pour l’électroménager

La passion nourrie par certains pour leurs appareils domestiques est sujet d’étude des psychanalystes, voire cause de passage aux urgences. Qui aurait cru que des pulsions inavouables dans l’électroménager pouvaient être prises au sens littéral ? Voici quelques cas déviants.

 

La question de la frontière fine, perméable ou floue entre humains et robots, est récurrente dans la littérature et le cinéma de science-fiction depuis qu’un certain écrivain tchécoslovaque, nommé Karel Capek, a fait apparaître ce mot dans sa pièce de théâtre R.U.R., en 1920. Depuis on ne compte plus les œuvres tentant de répondre à cette problématique pas si moderne que l’on croit, remontant aux automates du 18ème siècle, d’apparence toujours plus humaines. De fait, leur lointain ancêtre de l’Antiquité était le pigeon volant d’Archytas de Tarente, auquel succéda le célèbre canard de Jacques de Vaucanson, qui pouvait boire, se nourrir, caqueter, s'ébrouer dans l’eau et digérer sa nourriture.

 

Laissons les volatiles et revenons aux humains, ou à ceux qui sont voués à leur ressembler, voire les remplacer, ceci pas seulement dans les pénibles tâches domestiques. Cette question, et celle de leur humanité, qui en est le corollaire, a été posée de manière remarquablement intelligente, au point même de déstabiliser les plus présomptueux croyant leurs convictions gravées dans le marbre. Citons la série TV suédoise Real Human (2012-2013) et les films Blade Runner (1982) Eva (2012) ou Ex Machina (2015). Il est intéressant de noter que ces œuvres traitent la question au travers des émotions que pourraient générer ces robots devenus androïdes en raison de leur apparence et de la perception anthropomorphique que nous en avons. Le spectre de ces émotions balaie large, conduisant de la simple sympathie puis de la réelle empathie jusqu’à la passion torride voire – éloignez les enfants ou laissez les absorbés dans l’écran de leur smartphone - aux pulsions sexuelles (le mot est lâché comme est signalé le film interdit aux mineurs La femme objet, exploitation Xplicite du thème en 1980). 


Croire que tout ceci est de la science-fiction serait erroné et certains n’ont pas attendu les progrès rendant les robots conformes esthétiquement à leurs congénères, pour lier des relations intimes avec leurs appareils ménagers, nourrir des amours ancillaires high-tech, voire leur vouer une passion inavouable. Ainsi certains consommateurs « parlent-ils à leur réfrigérateur, présentent leur aspirateur à leur chien, chouchoutent leur cafetière, se réjouissent que leur four soit sale » comme le révèle le très sérieux site Le Cercle Psy (lien : ici) à propos du livre de la journaliste Anne Eveillard, Ces machines qui parlent de nous, édité en 2011 aux Quatre chemins. L’ouvrage analyse ainsi les rapports souvent inattendus que nous entretenons aux objets électroménagers, et qui témoignent des grandes évolutions de notre société.

 

De fait, le sujet est d’importance pour les chercheurs en sociologie, comme en témoigne le magazine de référence  Sciences Humaines qui, dans son hors-série de ce trimestre sur Les grands enjeux du monde contemporain,  a consacré un consacré un article sur le sujet. Sous le titre suggestif  « T’as de belles vis, tu sais… », notre confrère Jean-François Marmion, écrit ainsi :  

« S’il est déjà possible d’éprouver de l’attachement pour les robots remplissant le rôle d’animaux domestiques, pourrait-on franchir un degré supplémentaire et en éprouver aussi pour des robots humanoïdes ? Ce qui est certain, quoique guère romantique, c’est que les objets les plus inattendus peuvent provoquer un engouement irrationnel, qui se révèle gentillet ou franchement libidinal. Jugez plutôt. Dans Ces machines qui parlent de nous, la journaliste Anne Eveillard a interrogé des sociologues et psychologues sur l’emprise particulière des machines sur notre quotidien. Il en ressort notamment que certains quidams manifestent des comportements pour le moins surprenants face aux appareils électroménagers, certains ouvrant leur réfrigérateur pour le plaisir ou lui faisant un brin de causette. Et quand on lui fait remarquer que les annales médicolégales ont enregistré plusieurs dizaines de cas de blessures graves chez des messieurs qui avaient câliné leur aspirateur, Anne Eveillard répond : « Ces cas extrêmes, avec des dommages collatéraux, ne sont pas si étonnants que cela ! Avant que je commence mes recherches pour ce livre, un aspirateur n’était pour moi qu’un objet pratique, qui avait pour mission d’enlever la poussière. Plus performant qu’un autre ou pas, qu’importe. Mais j’ai découvert que certains le comparent à un animal domestique. J’en ai été témoin très récemment encore : une femme m’a raconté que son aspirateur robot avait sympathisé avec sa chienne. Du coup, la base du robot est à côté de la niche du chien. Pour elle, il n’y a là rien d’incongru. »

 

Après ça, on aura du mal à ne pas regarder nos appareils ménagers de la même manière, mais si vous croyez qu’une porte de four qui grince ou couine est l’expression de sa plainte, n’hésitez pas à consulter…

 

  

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