Cuisiniste à la longue expérience, Thierry Soleau dirige le magasin renommé Tourny Cuisine à Bordeaux. Selon lui, l’évolution du marché de la cuisine est marquée par l’atomisation de sa distribution et la résurgence d’anciennes formes de commerce, générée par la crise sanitaire et les confinements. Défenseur inlassable de l’indépendance dans ses méthodes de vente et de référencement depuis ses débuts en 1987, il prône la résistance à l’uniformisation et est naturellement adhérent à Agensia Demeter, premier groupement français de cuisinistes indépendants.
Culture Cuisine : Quel regard portez-vous sur l’évolution du marché de la cuisine au cours des cinq dernières années et plus particulièrement depuis les crises sociale (Gilets jaunes) et sanitaire (Covid-19) qui ont secoué le pays ?
Thiery Soleau : « Les évolutions du marché de la cuisine que nous observons aujourd’hui ont été engagées depuis plusieurs années, et je pense qu’elles vont se poursuivre. Il s’agit de l’atomisation et de la dispersion de la distribution. On assiste en effet au développement continu des diverses formules de commerce que sont les grandes surfaces spécialisées en ameublement, les enseignes de distributeurs ou de fabricants de cuisines équipées, et les cuisinistes indépendants. Cette multiplication des points de vente n’a pas été compensée par la croissance - pourtant forte - du secteur ces dernières années et elle a réduit par conséquence les parts de marché de chacun.
Culture Cuisine : On pourrait ainsi dire que la bonne santé du secteur de la cuisine équipée a profité à ses acteurs dans un premier temps, mais qu’elle a généré une attractivité risquant de mettre fin à cet effet d’aubaine.
Thiery Soleau : Absolument et d’autant plus que ce phénomène est accentué, du moins sur ma zone de chalandise, et plus largement en Gironde, par une plus forte représentation des vendeurs de cuisines en chambre (appellation désignant des représentants de marque ne disposant pas de magasins et intervenant à domicile, ndlr). Ce métier existait auparavant et il revient aujourd’hui grâce à la généralisation des outils informatiques et de communication sur Internet, des ordinateurs portables et des tablettes et logiciels de dessin en 3D qui ont remplacé les valises de portes échantillons et les ébauches à la main. Je remarque aussi, à moindre mesure, l’apparition de vendeurs itinérants de cuisines qui investissent les places de marché en périphérie des villes, voire dans les campagnes. Il est intéressant de noter que, là encore, cette formule de commerce ancienne avait un peu disparu avec la modernité de la distribution, avant de revenir aujourd’hui à la faveur des changements sociétaux provoqués par la crise sanitaire du Covid-19, et par les confinements et la généralisation du télétravail, en particulier.
Culture Cuisine : Vous exercez le métier de cuisiniste depuis plusieurs décennies et vous êtes resté un fervent défenseur de l’indépendance des cuisinistes et du respect de leur liberté en matière de méthodes de vente et de référencement. Pensez-vous que ce métier s’est uniformisé avec le développement des systèmes de franchise et la primauté donnée aux volumes de ventes plutôt qu’à la relation client personnalisée ?
Thiery Soleau : On assiste en effet à une uniformisation du métier de cuisiniste, causée en partie par une recherche toujours plus forte des volumes de vente par les fabricants. Nombre de mes confrères me confient ainsi régulièrement le fait que leurs fournisseurs leur imposent des méthodes de travail et s’impliquent de plus en plus dans les modes de fonctionnement des magasins de cuisine, voire dans les décisions étant normalement du ressort des cuisinistes. Toutefois, on ne peut pas dire que les grandes enseignes écrasent le marché en imposant leurs méthodes, car il existe encore un nombre important de cuisinistes qui font de la résistance et refusent d’entrer dans des schémas imposés. On en voit notamment parmi les professionnels expérimentés de l’ancienne génération, qui gardent une approche pragmatique de leur métier et privilégient les méthodes qu’ils ont validées en fonction de leur efficacité. En la matière, en effet, seuls les résultats comptent. Celles des fabricants ne sont pas forcément mauvaises et certaines réussissent même bien. Il reste cependant incontestable que le meilleur endroit pour les expérimenter reste le magasin de cuisines et non pas un bureau d’étude, souvent déconnecté de la réalité variable du terrain.
Culture Cuisine : Ce désir d’indépendance et de liberté professionnelle est-il le principal motif de votre adhésion depuis de longues années au groupement Agensia Demeter ?
Thiery Soleau : Je dois d’abord préciser que j’étais auparavant déjà adhérent de VKG France qui était alors dirigé par Marc Edel. Je l’ai donc rejoint lorsqu’il a ensuite fondé Agensia Demeter au début des années 2000, parce que j’apprécie sa vision appliquée de ce que doit être un groupement de cuisinistes indépendants, à commencer par le respect de cette même indépendance et de la liberté de travail dans les magasins. Une autre raison m’incitant à rester adhérent à Agensia Demeter depuis de nombreuses années réside dans les réunions qui sont organisées. Elles me permettent de rencontrer régulièrement des confrères avec qui je peux échanger des points de vue, m’inspirer de méthodes pour m’être utiles et, plus généralement, m’informer sur l’actualité de notre secteur d’activité. Il est en effet essentiel pour les cuisinistes de savoir regarder et écouter au-delà des limites de leurs magasins. Enfin, et de manière plus concrète, le fait d’être adhérent Agensia Demeter me donne accès à une offre diversifiée qui me permet de bien comparer les produits et les prix des diverses marques, et de proposer à mes clients les modèles correspondant le mieux à leurs besoins et à leur budget. C’est un véritable atout concurrentiel, surtout au regard de l’évolution du marché qui nous attend de par l'inflation et qui sait quoi d'autre encore dans un futur proche. »
Propos recueillis par J.A
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