Proposer plusieurs marques, un facteur de réussite…
Le constat est parfois établi pour les cuisinistes indépendants qui souhaitent conserver une liberté de choix et une offre répondant aux divers budgets. Il s’impose aussi aux industriels du secteur. Explications.
On a parfois tendance à l’oublier, mais les cuisinistes indépendants, qualifiés ainsi car ils ne sont inféodés, concessionnaires ou franchisés, à aucune enseigne de distribution de cuisine (Ixina, Cuisines Plus, Cuisines Référence, Aviva, etc.) ni de fabricant (Schmidt, Cuisinella, Mobalpa, Perene, SoCooc, Arthur Bonnet, Comera, Inova, etc.), que les cuisinistes indépendants donc, sont majoritaires en France. Il n’est donc pas étonnant que leur principal groupement, Agensia/Demeter, fédère, tous types de commerces confondus, le plus grand nombre de magasins dans l’Hexagone (plus de 300). De manière plus générale, une simple addition des magasins des différents réseaux d’enseignes permet d’estimer qu’ils ne représentent qu’un tiers environ des 4000 cuisinistes recensés dans notre pays.
Les distributeurs indépendants arborent un nom qui leur est propre (patronymique type Cuisines Jean Richie) ou commun (type L’atelier de la cuisine) et ils font souvent le choix de référencer plusieurs marques, afin de conserver une liberté de choix et de proposer une offre répondant aux divers budgets. Cet état des lieux n’est pas nouveau et, à bien se remémorer les choses, il est consubstantiel de la distribution de cuisines équipée sur mesure depuis ses origines. En effet, celle-ci est antérieure à la création des enseignes de distribution spécialisée (nommée hyper spécialistes avec les pionniers Spacial Cuisine et Cuisine Plus à l’aube des années 1980) et des réseaux nationaux des fabricants français (Mobalpa et Schmidt au milieu de la même décennie). De la deuxième moitié des années 1960 à la fin des années 1970, époque séminale de la cuisine intégrée qui remplaçait les buffets dans les foyers cossus, les distributeurs proposaient donc - déjà - plusieurs marques, pratique poursuivie en catimini (« au fond du magasin ») lorsqu’ils ont rejoint des enseignes de fabricants, jusqu’au moment où les clauses contractuelles ont été plus restrictives et comminatoires.
On évoque, par la voix des principaux intéressés, la diversité d’offre proposée par les cuisinistes comme une nécessité de plus en plus impérieuse au regard de l’évolution du marché. Mais les industriels l’appliquent aussi comme un vecteur de progression, voire de réussite, en y ajoutant d’autres raisons propres à leur nature de producteurs. Cette pluralité de marque leur permet ainsi à la fois d’être en phase avec la segmentation du marché qui s’affirme depuis quelques années, de montrer leur puissance de production, d’adaptation et d’innovation dans ces divers segments, et de se poser en force de solutions aptes à répondre aux demandes des consommateurs, donc de couvrir un spectre large pour séduire un plus grand nombre de cuisinistes.
Ainsi font nombre d’industriels allemands, dont le leadership européen atteste de la pertinence de leur stratégie et de leur pouvoir de séduction (Nobilia et Noblessa, Schuller et next125, Alno, Wellmann et Pino). De même, en France, Schmidt Groupe et le groupe Fournier assoient leurs positions dominantes dans notre pays avec Schmidt et Cuisinella pour le premier, Mobalpa, Perene et SoCooc pour le second. On doit aussi ajouter Arthur Bonnet et Comera dans le giron de CDI, propriété du groupe italien Snaidero qui développe parallèlement sa marque éponyme. Cette pluralité avantageuse de marque n’est pas l’apanage des firmes industrielles de taille européenne, comme le montre la création de la marque Pronto par les Cuisines Sagne ou la sororité de You et Charles Réma.
Dans les années 1990, réduire le portefeuille de marques des grands groupes d’alimentaire et d’électroménager était devenu une nécessité de gestion et de marketing efficaces, tant elles étaient devenues pléthoriques et se phagocytaient (le même phénomène s’était produit durant les décennies précédentes dans l’automobile (quid de Simca, Talbot, etc. ?). Au cours des années 2000, c’était aussi devenu une évidence après la fusion d’Alno et Wellmann, alors co-leaders allemands, qui en détenaient déjà beaucoup (trop ?) isolément. La rationalisation a fin son temps et la France n’est pas l’Allemagne. De fait, réduire le nombre de marques gérées par un industriel de la cuisine serait perçu comme un frein pour son dynamisme, voire un recul de ses moyens annonçant celui de ses positions sur le marché (cf. le groupe Teisseire cédant sa marque éponyme et quinquagénaire pour se réduire à sa marque benjamine Teissa à la fin des années 2000), y compris en cas de fusion de marques (rappelons que 1+1 font souvent moins de deux en économie). Plus gênant peut-être enfin, nombreux sont ceux, cuisinistes et consommateurs, qui y voient la perte d’un patrimoine industriel, d’autant plus regrettable que les disparitions ont été nombreuses dans le secteur depuis 10 ans (Vogica, Jean Gilet, Hardy, ECB, Césa, Legrand, etc.), et que les aspirations socio-politiques du made in France impose la sauvegarde des marques historiques de nos régions.
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