Pourquoi les marques italiennes ont-elles perdu de leur aura ?

Actualités - 26 févr. 2014

Précisons avant tout qu’il ne s’agit pas de porter jugement sur la qualité esthétique ou intrinsèque des cuisines fabriquées de l’autre côté des Alpes, et encore moins de la décrier. D’ailleurs, le faire reviendrait à critiquer de facto les modèles conçus en France, en Allemagne et dans tout autre pays d’Europe, où les mêmes fournisseurs de panneaux, de colles, de façades ou de ferrures (charnières et coulisses) équipent les fabricants de cuisines. Cette uniformisation des composants est pourtant l’une des deux raisons principales expliquant la perte d’aura des marques italiennes sur le marché français. Un paradoxe qui n’en est pas un : en réalité, on peut considérer que les industriels transalpins ont perdu l’apanage qui les posait comme les seuls détenteurs du bon goût et de la réussite esthétique dans les années 1980 et 1990. Notons que cette croyance tenait à la fois d’un constat réaliste, d’un certain snobisme intellectuel alimenté par la presse déco) et d’un discours marketing collectif affûté (il y avait toujours « oune designor » - bien - dissimulé derrière chaque modèle).      

 

La perte d’aura des marques italiennes sur le marché français ne signifie pas, non plus, un recul définitif de leurs positions sur le marché français, la cuisine, comme de nombreux autres secteurs de consommation, notamment ceux liés à décoration, répondant à des cycles de modes difficiles à prévoir. En attendant, cette perte d’aura est bien réelle et elle s’explique par deux raisons principales :    

 

Primo, les cuisines produites et vendues sur le Vieux continent se sont normalisées avec le triomphe du contemporain européen, principalement promu et diffusé par les industriels allemands de moyen et moyen-haut de gamme, dans la grande distribution généraliste (y compris chez Ikea) ou spécialisée (Nobilia), et chez les cuisinistes (avec pour figure de proue Nolte Küchen en politique de marque et Häcker en no name). Par retour logique des choses, et en raison de leur incomparable puissance de production qui en fait les principaux exportateurs, les firmes germaniques ont été et sont toujours les principaux bénéficiaires de ce mouvement de fond en France et, à divers degrés, dans d’autres pays.    

 

Secundo, l’innovation s’est déplacée du champ de l’esthétique vers celui de la fonctionnalité, améliorée par des composants intérieurs créés par des équipementiers de taille plus importante que la plupart des fabricants de cuisines. Visibles en cliquant sur leurs bannières en marge de ce site, les offres de Grass, Salice et Hettich, (auxquelles on doit ajouter celle de Blum) ont été les principales vectrices des changements opérés dans la cuisine européenne au cours des 15, voire 20 dernières années, du tiroir à sortie totale jusqu’à la charnière à amorti, tous partis du haut de gamme pour rapidement se démocratiser en couvant quasiment tous les segments. Afin de faire bonne mesure, il faut ajouter une innovation certes esthétique mais dont la portée a surtout été économique : les revêtements de façades tels que nouveaux mélaminés et polymères, fournis là aussi par les mêmes fournisseurs, ont également participé à l’uniformisation de l’offre en offrant des qualités et variétés de décors (lisses ou structurés avec effets de matière) pour des prix bien inférieurs à ceux de la laque (dont certains italiens étaient les chantres) et à ceux des véritables finitions bois. 

 

De fait, Eurocucina, jadis biennal temple éphémère des audaces formelles en cuisine, a perdu de son attrait et, il faut l’avouer, d’un peu de son charme, les firmes italiennes normalisant elles aussi, pour de légitimes motifs de ventes, leurs gammes. Jusqu’à la fin des années 1990, celles-ci étaient très observées au salon de Milan par les visiteurs professionnels (fabricants allemands et français, mais aussi cuisinistes) qui venaient y chercher l’inspiration. Aujourd’hui, l’attention se concentre davantage sur les annonces de développement industriel et commercial prononcées par les fabricants germaniques lors de LivingKitchen à Cologne. Leur impact sur la filière est, de fait, plus important que le retour du blanc ou la mode de l’orange…            

 

Enfin, l’idée d’une mauvaise qualité de livraison (pièces manquantes, délais allongés, s.a.v. incertain), alimentée dans les années 1990 par des concurrents indélicats ou par des cuisinistes déçus, et véhiculée autant par la rumeur sectorielle (la fameuse « radio cuisine ») que par des expériences avérées, n’est pour rien dans la perte d’aura des marques italiennes sur le marché français. Car elles ont là aussi perdu un apanage qu’on leur prêtait,

les fabricants italiens livrant aussi bien que leurs concurrents, voire mieux que certains français aujourd’hui disparus ou en mauvaise posture. Normalisation, on vous dit…    

 

Partager cet article

Pourquoi les marques italiennes ont-elles perdu de leur aura ?
Pourquoi les marques italiennes ont-elles perdu de leur aura ?

Liens sur vignettes ci-dessous