Le haut de gamme plus accessible est-il crédible ?

Actualités - 22 mars 2011

« La crise de 2008 (…) a révélé des changements radicaux en ce qui concerne les attentes et le comportement des consommateurs, plus attentifs aux prix de nos produits, tout en demeurant exigeants sur la qualité (…) C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité élargir notre positionnement et réajuster notre image de marque, non pas en termes de qualité, mais au niveau du prix de nos produits. Au fond, nous ne souhaitons pas changer de cible, c’est la cible elle-même qui change ; à nous de nous y adapter ! ». Cette déclaration émane d’Edi Snaidero, pdg de la marque (et du groupe) du même nom, dans le cadre d’une interview menée par notre confrère Benjamin Coppens et parue dans le n° de mars/avril 2011 de Cuisines & Bains Magazine. Elle pose la question de la validité de la stratégie de repositionnement tarifaire vers le bas qui, au-delà de l’exemple de la marque italienne, peut concerner d’autres opérateurs français et étrangers sur le marché français. Et effet, depuis la crise de la fin 2008, la tentation est forte de se montrer plus accessible pour séduire les consommateurs au sein d’un contexte concurrentiel qui s’est durci. L’analyse précise de la pertinence d’y céder nécessiterait un article approfondi. Néanmoins, on peut dégager à grands traits des raisons objectives qui s’y opposent. A savoir :

 

- si personne de sensé ne peut nier sa réalité, la crise ne peut avoir le dos trop large : si elle a conduit à une régression du marché de la cuisine équipée en 2009, celui-ci est reparti à la hausse l’année suivante, par phénomène de rattrapage certes, mais qui n’était pas acquis lors de la tourmente ;

- baisser les prix en période difficile peut aussi être interprété comme une solution défensive de sauvegarde pour freiner l’érosion de ses parts de marché, donc comme un aveu de faiblesse(s), plutôt qu’une réponse dynamique et offensive, visant au contraire à affirmer ses forces inaltérées face aux mouvements de marché générés par la crise passée ;

- une règle intangible du commerce et de l’industrie veut qu’il est toujours préférable, dans la mesure du raisonnable (pour éviter un décalage trop criant et prétentieux) de monter en gamme que de descendre, ceci afin d’éviter des dommages collatéraux sur l’image de marque qui sont longs à réparer ;

- même si l’on peut croire Edi Snaidero lorsqu’il précise dans la même interview que ce sont des améliorations des processus dans toute l’entreprise qui permettent de garantir la même qualité pour des prix réduits, on ne pourra s’empêcher de penser qu’aucun dirigeant n’annoncerait son intention de sacrifier volontairement la qualité. De manière plus profonde et dépassant le secteur de la cuisine pour toucher tous les produits de consommation, cela se heurte au fait que la clientèle naturelle du haut de gamme a, au contraire, tendance à penser, sans vouloir être contrariée dans sa croyance statutaire, que ce qu’elle achète et possède coûte des prix élevés qui sont difficilement compressibles, parce que justifiés par des qualités de production, de composants et de  conception design (la Classe A de Mercedes est moins accessible que la Twingo). Briser ce théorème revient à briser le rêve de ses clients et fissurer son image de marque.

- Enfin, même si Edi Snaidero souligne que ce repositionnement s’appuie sur les résultats « d’une enquête à très grande échelle pour cibler avec précision les besoins et les attentes des consommateurs »,  Mario Bader, directeur France et Benelux de Poggenpohl estimait en revanche encore récemment que « les cadres supérieurs et professions libérales ont décidé d’investir plus massivement dans leur cuisine en 2010 », le modèle élitiste conçu avec Porsche Design étant encore plus prisé avec la crise (le même phénomène statutaire jouant ici un plein). A moins d’être frappé d’autisme, on aura du mal à nier que les plus riches ne se sont pas enrichis au cours des deux ans écoulés. En réalité, la  pression consumériste sur les prix s’exerce sur les marques du moyen de gamme, confrontés à la concurrence d’Ikea et des marques germaniques no-name type Häcker et Schüller. Le repositionnement de Snaidero indique t-il qu’il en fait partie ?      

 

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