Ikea, une bonne occasion de faire des affaires ?

Actualités - 02 juil. 2013

Une blague datant de la Guerre froide faisait dire à un Français distrait ou naïf : « s’il y a une guerre mondiale, je file à l’étranger… ». Les temps ont changé et avec eux les stratégies de conquête, abandonnant le terrain militaire pour l’économique que nous serions, à notre tour, naïfs de croire moins miné et plus circonscrit, à un pays, un secteur ou un segment de gamme. La crise n’épargne personne, ni aucune entreprise industrielle ou de distribution, y compris les plus grandes. Ce qui conduit à déplacer les stratégies du domaine de la polémologie à celui de l’évolution des espèces chère à Darwin ; désormais, la meilleure défense n’est plus l’attaque, mais l’adaptation à la nouvelle donne socioéconomique. La démonstration vient d’être donnée par Ikea, connu pour ses qualités offensives de conquête du marché de l’ameublement qui lui ont permis de bâtir un empire en devenir le n°1 mondial du secteur, mais aussi n°1 dans chaque pays où le groupe suédois a implanté son enseigne bleue et jaune, ce qui est plus significatif de sa stratégie « penser global, agir local » (elle vend des lits doubles en 1,40 mètre de large uniquement sur le marché français, alors qu’ils mesurent 1,60 ou 1,80 m partout ailleurs).

 

Comme le précise notre consœur des Echos, Valérie Leboucq, les dirigeants d’Ikea ont dû « constater le goût prononcé des Français pour la chine, le mélange des styles, du vieux et du neuf », dont témoigne le succès des brocantes et autres vide-grenier de printemps, mais aussi des sites Internet tels que leboncoin. Ikea a ainsi choisi la France(son troisième marché après l’Allemagne et les Etats-Unis) pour mener l’opération « Une seconde vie pour les meubles » pour reprendre les anciennes pièces de mobilier de ses clients en échange de bons d’achat à utiliser en magasin. En réalité, l’enseigne teste un nouveau procédé de fidélisation et d’incitation à revenir dans l’un de ses 29 magasins de l’Hexagone qui reçoivent chaque année 50 millions de clients. La fidélisation est l’un des vecteurs du succès du géant suédois, dont les 4,6 millions de titulaires de sa carte Family se déplacent ou achètent sur l’e-shop 5 à 6 fois par an, en moyenne. On a évoqué le printemps, l’hiver est aussi l’occasion de faire revenir les consommateurs : depuis plusieurs années les acheteurs d’un sapin de Noël se voient remettre également un bon d’achat lorsqu’il le rapporte après les fêtes.              

 

Lancé à Strasbourg, puis à Saint-Priest (près de Lyon) et à Franconville en Région parisienne, le dispositif des meubles a été étendu ce printemps à tous les autres magasins français. Ce déploiement s’est concrétisé par la revente en deux mois de 9 410 meubles à un prix moyen de 29 euros pour des pièces importantes, tels que canapés, tables, rangements. Un prix qui génère une rotation rapide dans les rayons (48 heures maximum), Ikea ne prélevant aucune commission. Le directeur général de la filiale française, Stefan Vanoverbeke, a déclaré que le dispositif sera reconduit et pérennisé tout au long de l’année prochaine, précisant que « c’est une façon d'accompagner nos clients lors des grandes étapes de la vie, comme le départ des enfants de la maison, et de leur faciliter la transition ».

 

Il est écrit ci-dessus que tous les magasins français sont concernés par la revente de meuble d’occasion. En réalité, ce n’est pas le cas de celui de Vélizy, spécialisé dans les ensembles de cuisines équipées. D’aucuns estimeront cette exception logique, considérant qu’il est difficile de démonter des ensembles intégrés et conçus sur mesure pour les installer dans d’autres cuisines ne répondant pas aux mêmes configuration et dimensions. Reste que difficile n’est pas impossible, voire qu’impossible n’est pas français, pour abonder par dicton interposé dans nos particularismes sur lesquels reposent les succès des brocantes. De fait, les caissons des meubles hauts et leurs façades sont suffisamment normés pour pouvoir avoir une deuxième vie dans une autre cuisine que la première qui les a accueillis ; idem pour les plans de travail qui peuvent être retaillés à façon. Les acteurs du marché de la cuisine pourront craindre que cette ouverture d’un marché de l’occasion de la cuisine serait un manque à gagner pour leur affaires déjà pénalisées par la crise. On pourrait aussi penser qu’elle aurait un effet de dynamisation, à l’instar de celui de l’automobile qui progresse fortement en 2013, alors que les immatriculations neuves sont en recul bien plus sévère que celui subi par la cuisine. En effet, une part importante des particuliers qui vendent leur automobile à d’autres consommateurs ou un garage s’en achètent ensuite une neuve. Certes, cette part varie en fonction de l’âpreté de la crise, mais la proportion des acheteurs de cuisines neuves aussi, dans les conditions actuelles. Nul ne sait en réalité si l’émergence d’un marché de la cuisine d’occasion serait bénéfique pour la filière, notamment en atténuant les contraintes imposées par la nouvelle règlementation de recyclage (et de taxe au poids des meuble usagés) en vigueur depuis le 1er mai. Reste que la démarche d’Ikea ravive une question qui revient au fil des crises depuis 20 ans comme un serpent de mer dans les réflexions de certains cuisinistes. Elles pourraient prendre d’avantage d’écho avec le doublement prévu des ventes de l'enseigne d’ici à 2020 qui doit se traduire par l'ouverture d’une dizaine de magasinssupplémentaires portant le réseau à 40. L’objectif est de placer 85 % de la population à une heure d’un Ikea contre 65 % aujourd’hui. Les premières inaugurations sont annoncées en 2014 à Clermont-Ferrand, Nice et Bayonne.

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