Du domestique caché au domaine public statutaire

Actualités - 11 juin 2024

Telle a été l’évolution de la place de la cuisine dans l’architecture intérieure, et qui aide à comprendre les enjeux auxquels celle-ci doit faire face. Reflet sociologique des usages de chaque époque, l’importance croissante de cette pièce dans l’habitat s’est accompagnée d’agencement et d’équipements optimisés. Rappel au fil des âges. 

Les exemples qui nous restent de cuisine au Moyen-Âge témoignent de la peur des incendies qui régnait alors dans les demeures féodales, le foyer servant à chauffer l’habitat et à cuire les aliments étant aussi source d’un feu destructeur. C’est pourquoi les cuisines étaient séparées du corps de bâtiment principal et, comme le donjon défensif, étaient bâties en dur quand la plupart des maisons, hangars et autres bâtiments utilitaires étaient en bois.

Si elles ont ensuite intégré l’architecture intérieure des palais et châteaux, les cuisines sont rarement mentionnées et décrites en tant que telles sur les plans par les architectes, étant  de l’ordre du « commun » et ne valant pas la peine d’être mentionnées. Sur le plan de l’hôtel d’Espinchal, les cuisines sont sans doute situées en sous-sol. Les domestiques montaient les plats aux maîtres de maison qui déjeunaient selon toute probabilité dans l’antichambre (lorsqu’il s’agit de repas privés) ou dans le salon (pour des réceptions plus publiques). La salle à manger était encore « flottante » et les repas souvent servis sur des tables à tréteaux facilement démontables.

L’apparition de la cuisine sur les plans des maisons d’habitation s’est produite avec l’émergence de la bourgeoisie, au XIXe siècle. Mais, faisant partie de la sphère privée, on ne la montrait pas et elle était intégrée dans la zone de la maison ou de l’appartement réservée aux domestiques quand le niveau de vie des propriétaires le permettait.

La cuisine domestique a opéré un changement radical à partir de 1945 sous l’influence de l’american way of life. Sur les deux rives de l’Atlantique, les appareils électroménagers ont facilité la vie de la ménagère, voire l’ont « libéré » selon le slogan resté fameux d’une marque française. La cuisine a alors gagné son droit de cité pour entrer dans la sphère du public et du montrable. Elle a aussi gagné ses lettres de noblesse en prenant une dimension statutaire, puis en se démocratisant massivement au cours des années 1980 pour devenir la pièce la plus tendance dans les médias et le lieu multi-activité de rencontre des résidents et de leurs invités. Jouxtant désormais l’espace public par excellence de l’habitat que sont le salon et la salle à manger, elles fusionnent aujourd’hui souvent avec elles dans une version appelée « à l’américaine. »

J.A

Visuel en haut à droite : cuisine américaine © douglaspperkins / Wikipedia

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