Donner une bonne architecture de choix d’achat
Appelées architecture du choix et nées des sciences cognitives, des notions marketing permettent d’influencer les consommateurs sans pour autant toucher à leur libre arbitre. Voici comment fonctionnent ces « nudges » – ou coups de pouce en français - qui ouvrent un champ nouveau dans la cuisine.
Alors que le marketing est l‘un des grands pourvoyeurs de mots creux et à l’usage vite dépassé, donc éphémère (Internet devenant successivement le 2.0, le numérique, le digital, etc.), et un actif promoteur de théories denses comme des œufs en neige fondant au soleil des exigences saisonnières de renouvellement des messages, cette thèse des architectures de choix a été jugée suffisamment importante pour être retenue dans l’ouvrage 25 Découvertes pour les 25 ans de la fête de la science, diffusé partout en France en octobre dernier.
Extrait choisis du chapitre annoncé du titre - vendeur - « Le marketing des bonne décisions » :
« Les gérants de supermarché connaissent depuis longtemps des trucs sur la façon de présenter les produits afin d’inciter les consommateurs à s’en saisir (…). L’imagerie cérébrale a démontré que certaines de nos décisions sont déterminées par notre cerveau avant que nous ayons conscience de les avoir prises. La théorie des architectures de choix (appelées nudges en anglais, soit coups de pouce), a d’abord popularisée Richard Thaler, professeur de sciences comportementales et d’économie à l’université de Chicago. Elle s’est développée depuis une dizaine d’années à la frontière de l’économie, de la psychologie, de l’économie et des sciences politiques afin d’inciter les individus à opter pour des décisions souhaitables ».
A vrai dire, le terme « souhaitables » est équivoque, voire source de malaise, car on est en droit de se demander « souhaitables pour qui ? », ce qui induit une notion de morale, tout aussi gênante car sujet à interprétations, dont l’une d’elles, extrême et effrayante, conduit à la dictature des esprits de la majorité, via leur manipulation si besoin, par une minorité dirigeante. Ressurgit alors les spectres cauchemardesques du Big Brother de 1984 d’Orwell ou de l’hypnopédie du Meilleur des mondes de Huxley. Relativisons la crainte en précisant que l’incitation de l’inconscient des citoyens peur aussi avoir de nobles buts et des vertus pédagogiques : Grâce à des campagnes de communications différentes pensées façon nudges, de nombreuses villes dans le monde ont résolu des problématiques de déchets, d’économie d’énergie et d’incidents. De son côté, la ville de Chicago a diminué le nombre des accidents de la route dans un virage dangereux en créant des marquages au sol donnant l’illusion d’accélérer, ce qui conduit (verbe au double sens adéquat) automatiquement l’automobiliste à ralentir.
De manière plus prosaïque, revient aussi le souvenir, pas moins inquiétant à bien y penser, des propos cyniques d’un ancien PDG de TF1 qui, en 2004, avouait vendre à une marque très connue de soda « du temps de cerveau humain disponible » (détails en cliquant ici). Boisson gazeuse et publicité nous ramènent dans la cuisine, et font préciser qu’à la place de «souhaitables », il eut sans doute été plus judicieux d’employer l’adjectif « souhaités », plus conforme au choix démocratique, mais aussi plus exact pour définir les ambitions et le potentiel de la théorie des nudges dans le cadre commercial. Appliqué à la cuisine, donc à la vente d’ensembles de meubles, d’appareils ménagers, ou de plans de travail, cette méthode des architectures de choix pourrait ainsi avoir des effets intéressants en incitant le « cerveau réflectif » des acheteurs « à prendre automatiquement la bonne décision grâce à la manière douce. »
Ne reste donc aux fabricants et aux cuisinistes à s’y mettre ? Pas si simple. Car les premiers ne vont pas truffer leurs messages publicitaires d’image et sons subliminaux, et les seconds ne vont pas prendre des cours d’hypnose. En réalité, jouer sur l’inconscient sans pour autant manipuler le libre arbitre suppose des actions complexes à mettre en place. Donc une vraie réflexion en amont afin de sortir du schéma traditionnel pour expérimenter des solutions efficaces. Alors que la vente de cuisine équipée continue d’être malheureusement associée à des pratiques de forcing ou de tromperie sur les prix dans de trop nombreux commentaires sur Internet ou dans la vraie vie (selon l’expression désormais consacrée), faire preuve d’audace en tentant de mieux comprendre la psychologie des réflexes et décision d’achat ne peut qu’être positif. A chacun, en combinant son expérience et son imagination de trouver les procédés permettant d’être plus en empathie avec ses clients ou de trouver la combinaison ouvrant en douceur le coffre mental de ses envies. Ainsi l’inspiration du film Vendeur (cf. notre article/lien Cuisiniste, un métier de passion... douloureuse ?) appartiendra-t-elle au passé et celle d’Inception (visuel ci-dessus) ne sera plus de la science-fiction.
Jérôme Alberola
Visuel : film Inception de Clive Nolan (2010 - © Warner Bros)
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