Cuisines italiennes : du dogmatisme au pragmatisme

Actualités - 19 avril 2016

Cuisines italiennes : du dogmatisme au pragmatisme  

Les premières impressions sont-elles toujours les bonnes ? Appliquée à l’édition 2016 d’Eurocucina qui vient de s’achever, cette question interrogeant l’adage se traduit en réalité par un constat certes à chaud, mais qui sent le réchauffé d’un plat servi il y a deux ans à Milan, lui-même répétant la recette goûtée en 2012. A savoir, l’assagissement des fabricants italiens préférant faire montre de raison que preuve de passion au travers de leurs nouvelles collections. Avec en conséquences des questions cette fois d’ordre stratégique, y compris pour le marché français.

 

Résumons en les causes et la finalité que nous avions alors développées sur notre site. Confrontés à la régression violente de leur marché domestique – 30 % entre 2009 et 2014), les industriels transalpins ont aussi pu observer l’inexorable progression de leurs concurrents allemands, qu’ils avancent masqués ou en no name (Nobilia, Häcker) ou sous l‘étendard  de leur marque (Schüller, Leicht, Nolte Küchen, etc.) Après avoir traversé la pire crise de son histoire de la deuxième moitié des années 1990 à la fin de première de la décennie suivante, l’industrie germanique de la cuisine est redevenue puissante et, surtout, elle a ensuite posé son impressionnante mainmise sur le marché européen, et français en particulier, en imposant un style de modèles, syncrétique en termes esthétiques, et efficace en termes de séduction commerciale : le contemporain européen (relire notre analyse « Les effets paradoxaux de la victoire allemande » de janvier 2013 - déjà ! en cliquant ici). De quoi inciter les fabricants des autres nations à suivre la même orientation (ce n’est plus une tendance), les derniers à y résister étant les italiens dont la singularité était jusque-là la meilleure arme et le vecteur de reconnaissance le plus répandu.

 

Reste qu’il est toujours difficile, voire dangereux de lutter contre le vent, et qu’il est impossible de l’arrêter. Et que plutôt que s’obstiner, les dirigeants italiens ont préféré logiquement s’adapter à la nouvelle donne, l’assagissement de Giemmegi, auparavant le plus audacieux des fabricants valant démonstration. Adapter ne signifie se réformer intégralement, mais mettre un peu la bride sur leurs envies d’évolutions radicales ou multidirectionnelles de leurs ensembles de cuisines, pour préférer des touches de novation dans un sens général, et donc se retrouvant sur divers stands de la biennale manifestation milanaise. Aménagements ergonomiques (voire désir de dissimuler les meubles derrière des portes pliantes-coulissantes), nouveaux coloris ou plus encore matériaux ont ainsi marqué les éditions d’Eurocucina 2012 et 2014.

 

Il en aura été de même ce printemps. De fait, le réflexe grégaire de prudence s’installant (alors que le marché italien a connu une embellie en 2015), on peut se demander si les fabricants du cru n’ont pas délaissé leur dogmatisme de créativité esthétique et ergonomique (regroupé sous le terme galvaudé, car fourre-tout, de design) à tous crins jusqu’à être institutionnalisée en véritable doxa identitaire et vecteur marketing. Et,  poussant un peu la réflexion, se demander si cela n’est pas fait au profit d’un pragmatisme, faisant légitimement primer le succès commercial à l’estime d’happy few du monde du design et de journalistes friands jusqu’à l’agueusie de modèles sensationnels. En termes plus directs les fabricants italiens (et leurs distributeurs) se sont peut-être un peu lassés de travailler pour la vitrine… des magasins ou des magazines.   

 

Il faut aussi raison garder dans cette analyse. En réalité, les cuisines vues à Eurocucina ont toujours leur touche italienne et certains stands ont proposé des solutions séduisantes sur lesquelles nous reviendront la semaine prochaine, tels que Aran Cucine, Scavolini, Alno ou Häcker (car des allemands, pourtant gros faiseurs de volumes, se sont distingués, là aussi, et certains y verront un comble). Mais on peut juger aussi de l’adaptation pragmatique de leurs créateurs aux temps nouveaux par le prisme des orientations commerciales, au sens cette fois géographique. Outre les cuisinistes italiens, bien sûr, ces cuisines étaient  avant tout exposées sur les stands pour séduire les revendeurs venus nombreux d’horizons lointains, qu’ils soient russes, asiatiques, du Moyen-Orient ou des Etats-Unis. Les dirigeants des firmes industrielles ne s’en cachent pas, au contraire. Est-ce parce que leurs concurrents germaniques ont moins marqué de leur empreinte ces marchés émergents en cuisines premium à luxe et que la donne est plus ouverte ? Le cas échéant, on peut alors aussi se demander si les mêmes italiens ne se détournent pas d’un marché français générant un comparatif jugé désormais moins favorable ? Le recul de leurs positions dans l’Hexagone au cours des cinq, voire dix dernières années, comme la faible fréquentation des cuisinistes français dans (critère spécieux, toutefois) pourraient conforter ce choix et leur faire préférer, comme Churchill, le grand large.  

 

Partager cet article

Cuisines italiennes : du dogmatisme au pragmatisme
Cuisines italiennes : du dogmatisme au pragmatisme

Liens sur vignettes ci-dessous