Cuisine et automobile : la bifurcation…

Actualités - 08 avril 2015

L’automobile a longtemps été le marché de référence pour la filière de la cuisine équipée - et de l’ameublement plus largement - qui comparait ses chiffres d’activité, afin de se rassurer, se réjouir ou se lamenter, au gré des fluctuations de conjoncture. C’est que l’automobile était considérée - et l’est encore, même si d’une manière différente - pour la cuisine équipée comme à la fois :

1/ sa principale concurrente en raison de paniers moyens assez voisins dans une répartition tripartite des segments de marché (bas, moyen et haut de gamme) correspondant chacun à des clientèles et à des marques aisément définissables ;

2/ sa rivale la plus dangereuse, le secteur automobile bénéficiant d’aides gouvernementales pour soutenir ou relancer son activité (baladurette, jupette, prime à la casse, déductions d’impôt pour l’achat de véhicule moins polluants, etc.). Contribuait à cette thèse le sentiment ou le constat que  l’achat d’une voiture se faisait souvent aux dépens de celui d’une cuisine, qui s’en trouvait différé ou, pire, annulé.     

3/ le bien de consommation répondant aux ressorts d’achat les plus similaires ou du moins comparables.

 

La validité de ces trois points a évolué au fil des deux dernières décennies :

 

1/ en dépit de l’essor de marques low cost (Dacia, Huyndai, Skoda, Kia, etc.) sur le marché français, le prix moyen des voitures neuves a progressé. Il a ainsi atteint 24 012 euros, soit 605 € de plus qu'en 2013 et 4859 € de plus qu'en 2009 ! A l’inverse, la pression sur les prix a été constante dans le secteur de la cuisine équipée, générée par l’arrivée de puissantes enseignes généralistes (Ikea au premier chef) et le retour récurrent de grandes enseignes de bricolage (Leroy Merlin, Castorama, mais aussi d’autres moins connues comme L’entrepôt du bricolage proposant des prix extrêmement bas, comme constaté en février dernier et précisé sur ce lien). Cette pression est même justifiée dans l’esprit des consommateurs par les campagnes TV et d’affichage d’enseignes de fabricant spécialisé annonçant des tarifs semant le doute sur ceux pratiqués par les cuisinistes indépendants (les spots TV de Cuisinella, par exemple, affichant actuellement une cuisine à partir de 1690 euros).          

 

2/ Depuis le début des années 2000, et notamment à partir de 2008, le secteur automobile a aussi subi des crises, plus aiguës que celle de la cuisine, contre lesquelles les gouvernements successifs n’ont pas pu, su ou voulu intervenir, faute d’argent dans les caisses de l’Etat. De plus, l’achat d’une voiture se fait moins souvent au détriment exclusif de l’acquisition d’une cuisine équipée, d’abord en raison de l’écrasement des prix de cette dernière sur le marché français, ensuite en raison de cycles de renouvellement ne correspondant pas (8 ans pour une voiture, 17 pour une cuisine), enfin en raison d’un différentiel de taux d’équipement à combler favorable à la cuisine.

 

3/ En 1993, dans le magazine annuel Concept Cuisine, l’auteur de ces lignes avais dénoncé la comparaison abusive entre automobile et cuisine, arguant que la première était avant tout un besoin quotidien, ou presque, pour toute la population adulte (ou presque), alors que la cuisine équipée était une envie, né d’un rêve d’équipement ménager fonctionnel et séduisant. 22 années sont passées et les choses ont changé, les marketing et évolutions de marché de chaque secteur opérant une convergence. Pour mieux vendre leurs modèles et se démarquer au sein d’une concurrence toujours plus vive et mondialisée, les constructeurs automobiles ont dû dépasser leur acquis bénéfique de besoin sociétal, pour provoquer de véritables sentiments d’envie dans l’esprit des consommateurs. Y participent la création de nouveaux segments de marché (monospaces de taille variable, petites citadines et, récemment, crossover qui connait un grand succès commercial chez diverses marques françaises ou non, et du low-cost au haut de gamme), des designs et esthétiques pensés pour être plus séduisants, des équipements générant des avantages de confort d’usages (ergonomie, communication interne et externe) qui relèvent plus du futile (volant chauffant, etc.) que du besoin réel. Le tout est relayé par des discours publicitaires et marketing qui ressortent de l’envie et non du besoin. On notera que pour l’automobile comme pour la cuisine, ce sont les équipements embarqués qui ont apporté les plus grandes valeurs ajoutées. La cuisine est quant à elle devenue davantage un besoin car, sans reprendre la phrase célèbre de John Lennon, « The dream is over » (le rêve est fini), il est clair que la démocratisation accélérée de la cuisine équipée a dilué l’idée d’une acquisition réservée à une minorité ayant su consacrer l’argent et le temps d’attente nécessaire. Pour devenir marché de masse et faire monter un taux d’équipement des foyers français restant parmi les plus bas d’Europe, les opérateurs du secteur ont nolens volens orienté leur discours vers la notion de besoin, avec le concours complice et insistant des médias de décoration. Dès lors, les campagnes de publicité ont privilégié les arguments tarifaires bien quantifiables à ceux de qualités laissant l’imagination vagabonder pour que se réalise ensuite le rêve.                                             

 

Comparer l’automobile et la cuisine, en termes consuméristes a ainsi perdu de sa validité au cours des deux dernières décennies. Mais la première continue d’inspirer la seconde en termes de design et d’esthétique comme le montre l’article de cette semaine dans notre rubrique magazine D’sserts & D’co. Pourrait aussi servir d’exemple le dynamisme des industriels de l’automobile pour réinventer régulièrement un bien d’équipement sans modifier sa fonction basique (se déplacer d’un point à un autre), mais en y ajoutant d’autres usages dérivés notamment des nouveaux comportements liés au numérique et aux nouvelles façons de communiquer. On ne voit pas pourquoi la cuisine ne prendrait pas aussi de nouvelles dimensions d’usage et de perception dans l’esprit des consommateurs.                      

 

(A lire aussi notre idée reçue n° 18 : Si le marché de l’auto roule au ralenti, celui de la cuisine s’accélère, en cliquant ici).

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